Comme le tableau offert par le monde est si affligeant! Mourir pour vivre libre n’est pas une idée abandonnée. Les dérives despotiques pointent les ravages au niveau des sociétés verrouillées. C’est le cas de la Chine, de l’Iran, de l’Afghanistan… Voilà ressuscité l’adage churchillien qui fait de la démocratie le pire des régimes, en dehors de tous les autres. Penser que le débat porté par les partisans de Macky Sall sur la troisième candidature suffirait à esquiver la crise démocratique que le Sénégal est en train de traverser ne serait pas dangereux relève de l’hérésie. Nombreux sont, aujourd’hui, les Sénégalais qui guettent les mots et moindres faits et gestes du premier des sénégalais, Macky Sall. Alors que le pays est frappé par la fièvre du débat sur le troisième mandat et les interprétations de l’article 27 de la Constitution, dans son alinéa 2 : «Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs», beaucoup de nos compatriotes ont entendu sifflé le 31 décembre 2022, encore le pronom indéfini singulier «Nul» dans la bouche du Président de la République.
«Nul ne doit s’imaginer plus grand ou plus fort que cette nation qui nous abrite tous. Nous sommes parce que le Sénégal est», a martelé le Chef de l’État en pointant «la responsabilité individuelle et collective» ; le dépassement «de nos différences afin de cultiver notre vivre ensemble» et pour nous «préserver des périls qui font le malheur des peuples». Ce qui est très caucasse dans cette situation, c’est que les deux «Nul», à y voir de plus près, lui parlent directement, l’apostrophent au plus haut. Le «Nul» de l’article 27 de la Constitution est son «bébé», sorti au plus profond de son être pour ne plus vivre des cas de morts et de violentes manifestations, contre le troisième mandat de Me Wade, qui avaient mis le pays à terre, en 2011. Sans doute le trauma qu’il en a tiré, tous les sénégalais avec, a valu à notre pays cette révision constitutionnelle pour en finir définitivement. Aujourd’hui, en 2022, il est confronté à la même situation que son prédécesseur aux plus hautes fonctions de la République. À bien vouloir s’exclure du «Nul» de son message, le pari n’est pas encore gagné. En effet, il a soutenu urbi et orbi que le mandat confié à lui par le peuple sénégalais, au sortir du scrutin de la présidentielle de 2019, était son «deuxième et dernier mandat». S’il lui passerait par la tête de ne pas respecter sa parole et ses écrits sur cette problématique, alors il risquerait d’être à l’origine des craintes et menaces voilées à la fin de son message de vœux de nouvel an. Le voilà, alors, coincé entre son «Nul» de l’article 27 et celui de ses propos du 31 décembre. S’il n’y prête garde, il pourrait être l’unique source des problèmes qui vont surgir en essayant de «s’imaginer plus grand ou plus fort» que tout ou une grande partie du peuple sénégalais, dans cette affaire du mandat.
Plus que jamais, une réinvention s’impose à lui, malgré les échappées des zélés de sa candidature en 2024, afin de redonner un attrait à notre démocratie et à notre pays, les promesses de prospérité avec les ressources en hydrocarbures, d’émancipation des populations et de leur sécurité. Le Président Macky Sall ne doit pas décréter le prix de la liberté du peuple à partir de son olympe. C’est le moment où jamais de redonner le goût de la liberté à tous, de la défendre pour sa valeur en soi. Parce qu’au moment où nous écrivons ces lignes, la liberté est l’unique solution. Raymond Aron disait : «Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c’est qu’elles le veuillent». Plus que jamais, au seuil de ce nouvel an et à l’issue des évènements douloureux qui ont frappé tous les segments de la société durant l’année 2022, le peuple veut cette liberté et cette paix qui ne sont qu’entre ses mains. Il ne veut pas être verrouillé à cause des intérêts d’un clan qui aspire à le reconduire, alors que c’est fini.
Abdoulaye DIOP