Si la situation est arrivée à un niveau où la Cour des Comptes demande plus d’une dizaine d’informations judiciaires, c’est l’irresponsabilité a prévalu tout au long de la chaine. C’est à dire de la présidence de la République aux différents ministères cités par les vérificateurs.
L’acte réglementaire pris par le ministre des Finances et du budget, Abdoulaye Daouda Diallo, en 2020, a-t-il laissé libre court à toute ces pagailles constatées par le rapport définitif de la Cour des Comptes sur le fonds «Force Covid-19»? Le 1er avril 2020, a été pris le décret n°2020-884 portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement du Fonds de Riposte et de Solidarité contre les effets du Covid-19 dénommé «Force Covid-19». Un extrait de l’article 10 dit : «Par dérogation aux dispositions du Règlement général sur la comptabilité publique, les opérations du Force Covid-19 sont dispensées de tout contrôle administratif a priori et de tout visa préalable».
Le CF, le COF, l’IGE et l’IGF exclus dès le départ de leur mission de contrôle sur Force Covid-19 !
Le gouvernement de Macky Sall a freiné, dès le début, un contrôle primaire sur les actes des ordonnateurs portant engagement des dépenses et de tous les actes à incidence financière. C’est dire qu’à ce niveau, avec la gestion des 1000 milliards de francs CFA, le décret pris par le Président Macky Sall, via son ministre Abdoulaye Daouda Diallo, n’a pas voulu que le Contrôle financier, le Contrôle des opérations financières (COF), l’Inspection générale des finances (IGE) et l’Inspection générale des finances (IGF) ne fassent un contrôle administratif sur les actes posés par tous les ordonnateurs de dépenses dans le cadre des fonds glanés auprès des sénégalais, du budget étatique et des partenaires financiers et techniques (PTF). Pour comprendre l’ampleur du désastre créé, il suffit de mettre le curseur sur les missions du contrôleur financier. Dans le cadre de sa mission générale de contrôle, il dispose du pouvoir d’investigation sur place et sur pièce et le droit de se faire communiquer tous les documents financiers et comptables et toutes études économiques ou financières nécessaires à l’accomplissement de sa mission. En outre, il doit être saisi pour avis de tout projet de loi, d’acte règlementaire, d’instruction, de contrat, de convention de nature à avoir des répercussions sur les finances de l’Etat. Seule une décision du Président de la République ou du Premier Ministre peut permettre de passer outre à l’avis défavorable du Contrôleur financier.
Dans la même veine, le décret a également freiné la mission du Contrôle des opérations financières (COF). Placé sous l’autorité de la Direction générale des finances, le COF contrôle des actes portant engagement de dépenses, les ordonnances et mandats de paiement ainsi que les délégations de crédits. Ce contrôle permet de s’assurer de l’effectivité du service fait et de sa certification, avant toute liquidation de dépenses. Par ailleurs, le COF suit la disponibilité et le rythme de consommation des crédits pour s’assurer du respect du plafond d’engagement trimestriel.
Concernant l’IGE dans cette affaire, elle lui a été interdite de vérifier la gestion administrative et financière de tous les services publics de l’Etat. Il s’agit d’un contrôle de conformité qui consiste à apprécier la gestion par rapport aux lois et règlements qui régissent le fonctionnement administratif, financier et comptable des services publics. Toutes les personnes soupçonnées dans ce carnage financier des fonds covid ont profité de l’inexistence de ces murs de contrôle et d’audit.
Le Secrétariat général de la Présidence de la République a-t-il failli ?
Une autre décision qui laisse froid dans le dos, dans le décret du gouvernement de Macky Sall, figure dans l’article 11. Qui dit : «Les dépenses du Force Covid-19 bénéficient du régime dérogatoire défini par l’article premier du décret n° 02020-896 du 25 mars 2020 complétant l’article 3 du décret n°2014-1212 du 22 septembre 2014 portant code des Marchés publics modifié par le décret n°2020-22 du 07 janvier 2020».
Que dit le décret n°2020-22 du 07 janvier 2020 ? En l’absence d’un Premier ministre, à l’époque au Sénégal, il fallait retoucher le décret de n°2014-1212 du 22 septembre 2014. Il faut comprendre que seul le chef du gouvernement été habilité à «certifier par notification écrite à l’Organe chargé de la régulation des marchés publics et à celui chargé du contrôle des marchés publics» les ententes directes. Ainsi, il revenait à Mahammed Bou Abdallah Dionne de «procéder à la certification par notification écrite l’attribution des marchés publics» pour « des motifs impérieux d’intérêt général». Et cerise sur le gâteau, le décret martèle que «l’attribution du marché doit être poursuivi immédiatement».
Si la situation est arrivée à un niveau où la Cour des Comptes demande plus d’une dizaine d’informations judiciaires, c’est l’irresponsabilité a prévalu tout au long de la chaine. C’est à dire de la présidence de la République aux différents ministères cités par les vérificateurs. Aucune diatribe à l’encontre de ces fonctionnaires ne saurait constituer d’alibi pour ne pas répondre à la justice. C’est pourquoi, les populations, sur ce scandale, ont l’œil rivé sur le Président Macky Sall pour savoir s’il va ou non activer son ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Ismaïla Madior Fall. Il y va de l’image de son régime et de sa gouvernance. Lors de la journée de la décentralisation, le Chef de l’État a indiqué avoir bloqué les fonds de dotation pour les collectivités locales, parce qu’il y avait devant les élections locales. Et il ne voulait pas que cette manne soit utilisée pour la campagne électorale en 2022. Qu’en est-il de l’argent pompé sur le fonds Force Covid-19 ? A-t-il servi pour le camp présidentiel aux élections locales et législatives de 2022 ? La pauvreté d’un pays, c’est l’état d’esprit de ses gouvernants.
Abdoulaye DIOP